⚠️ Attention ! Nous vous conseillons fortement de tenir compte de la date de publication de cet article. En effet, les pratiques en droit des étrangers ne cessent d’évoluer. Il est donc possible que certaines informations, pratiques et/ou stratégies procédurales présentées ne soient plus d’actualité.
Tous les matins, rue Molière à Lyon, d’astronomiques files d’attente révèlent le manque flagrant de moyens des services de l’Etat en matière d’immigration.
Ces files d’attente ne sont malheureusement que la partie émergée de l’iceberg.
Moins visibles mais sensiblement plus graves sont, comme le rappelle la Défenseure des Droits, « les difficultés en lien avec la dématérialisation des guichets et les délais d’instruction excessifs » des demandes de titre de séjour.
Les difficultés sont telles qu’on devient parfois nostalgique de ça :
En effet, si une simple convocation en préfecture est aujourd’hui le sésame pour nombre de ressortissants étrangers, voir une demande de régularisation instruite frôle l’utopie.
Selon la Préfecture du Rhône, « le délai moyen d’un dossier AES [admission exceptionnelle au séjour] est de 7 ans » :
Un délai d’autant plus déraisonnable lorsqu’on sait que les préfets sont invités par la Circulaire dite « Valls » à envisager la régularisation de certaines catégories d’étrangers résidant en France depuis au moins 5 ans.
Alors que la dématérialisation des services de la préfecture était censée simplifier les procédures, force est de constater qu’au contraire, elle a eu pour effet de les complexifier et de rallonger les délais de traitement des dossiers.
Face à ces difficultés d’accès effectif au service public, l’association La Cimade et ses partenaires ont déposé, le 30 mars 2021, un recours contre la dématérialisation obligatoire des services de la Préfecture du Rhône.
Les requérants étaient représentés par notre confrère Me Yannis LANTHEAUME.
Notre cabinet LOZEN AVOCATS (Me Eloïse CADOUX et Me Anne-Caroline VIBOUREL, alors co-présidentes de la commission droit des étrangers du Barreau de Lyon) a été chargé de représenter les intérêts de l’Ordre des avocats au Barreau de Lyon dans le cadre d’une intervention volontaire.
Pour soutenir les conclusions de la Cimade et ses partenaires, nous avons effectivement démontré que le Barreau de Lyon justifiait d’un intérêt à intervenir au regard de sa mission qui vise à faciliter l’accès au droit et à la Justice à tous les justiciables.
Or, les nombreux dysfonctionnements de la dématérialisation imposée par la Préfecture du Rhône ont pour conséquence d’accroître mécaniquement et considérablement le nombre de recours en justice, dont la plupart n’est pas financée par l’aide juridictionnelle.
Le 22 décembre 2022, après plus d’un an et demi d’instruction, le Tribunal administratif de Lyon a rendu son jugement et condamné la préfecture.
Deux mois après son prononcé, LOZEN AVOCATS revient sur ce jugement en demi-teinte.
✅ Le verre à moitié plein
Soyons clairs : le Tribunal administratif de Lyon a donné tort à la Préfecture du Rhône.
En effet, notre demande principale visait à faire annuler la décision du préfet de rendre obligatoire le recours à une plateforme en ligne pour l’obtention d’un rendez-vous en vue d’une première demande (« Démarches Simplifiées ») ou d’un renouvellement ou (« SVE ») de carte de séjour.
Après avoir rappelé le cadre juridique consacré par le Conseil d’Etat en juin 2022, le Tribunal a retenu que le Préfet du Rhône n’avait pas « la compétence pour rendre l’emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titre de séjour ».
Le Tribunal a donc annulé la décision qui impose une prise de rendez-vous en ligne afin d’obtenir une convocation pour une demande ou un renouvellement de titre de séjour.
Le Préfet du Rhône a alors été enjoint de mettre fin au caractère exclusif de la demande de rendez-vous en ligne et donc de prévoir une alternative à ses plateformes « Démarches Simplifiées » et « SVE ».
C’est une avancée notable pour tous les ressortissants étrangers impactés par cette décision illégale.
⛔️ Le verre à moitié vide
Là encore, soyons clairs : cette décision est décevante sur différents points.
1️⃣ Première déception : par ce même recours, une autre décision aux effets catastrophiques était soumise à la censure du juge : celle de prioriser certaines demandes de rendez-vous d’une demande de titre de séjour par rapport à d’autres.
En effet, lors d’une demande de rendez-vous en ligne, les usagers doivent indiquer (😵💫s’ils se retrouvent dans la jungle administrative de la préfecture😵💫) le motif de leur demande de carte de séjour :
Les avocats et les associations ont alors constaté que cette démarche vise à prioriser certaines demandes de rendez-vous en ligne.
Le juge rappelle ainsi que « le préfet ne conteste pas qu’au sein de demandes de convocations pour le dépôt d’une demande de délivrance d’un titre de séjour, les personnes sollicitant une admission exceptionnelle au séjour se sont vues attribuer un rendez-vous moins rapidement que les personnes sollicitant […] un titre de séjour de plein droit ».
Néanmoins, sur ce point, le Tribunal a estimé que cette décision revêt le caractère d’un acte préparatoire ne pouvant pas faire l’objet d’un recours.
2️⃣ Deuxième déception : si le juge a certes enjoint au Préfet du Rhône de prévoir une alternative aux plateformes en ligne, il lui a accordé un délai particulièrement long pour le faire, à savoir quatre mois à compter de la date du jugement.
Une telle décision est problématique en ce que :
- le tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte, ce qui affaiblit nos garanties de l’exécution du jugement par le préfet dans le délai imparti ;
- au regard des nombreux défauts d’exécution constatés à la suite de décisions rendues par le Tribunal administratif de Lyon dans les contentieux individuels, nous avons hélas de bonnes raisons de craindre que ce délai de quatre risque de ne pas être respecté ;
- durant ces quatre mois, les conséquences causées par la décision du préfet continuent d’impacter des nombreux ressortissants étrangers ;
- et pire, de nombreux clients nous ont rapporté que la Préfecture du Rhône aurait décrété une sorte de « période de grâce » pour l’exécution de ce jugement par une réduction de la cadence de ses services durant cette période.
3️⃣ Troisième déception : le Tribunal a épargné la Préfecture du Rhône du remboursement des frais de procès et procédures engagés par les associations requérantes.
Pourtant, les associations ont mobilisé leurs ressources internes et engagé d’importants frais tout au long d’une procédure extrêmement longue et composée de différents actes de procédure.
Quoi qu’il en soit, l’Ordre des avocats du Barreau de Lyon restera donc vigilant sur la parfaite exécution de ce jugement par le préfet.